En dehors des considérations sociologiques et disciplinaires, les contribuables qui mettent leurs enfants dans le privé pensent faire un choix éducatif différent de celui de l’école publique. Non seulement l’éducation n’est pas fondamentalement différente, mais ils continuent de payer pour l’école publique.
Soyons réalistes, il existe deux types d’écoles d’État : celles du service public et celles qui sont sous contrat d’association avec l’État ou en contrat simple. Les écoles sous contrat sont ordinairement appelées « écoles privées » alors que la loi Debré du 31 décembre 1959 ne reconnaît pas d’établissements privés, mais bien une « pluralité d’établissements ».
En outre le secteur privé de l’éducation possède une particularité très française : il est monopolisé dans sa quasi-totalité par l’Église catholique. C’est un fait historique puisque les écoles protestantes, juives ou musulmanes sont marginales du point de vue du nombre. L’État français a donc toujours eu un seul interlocuteur privilégié et séculaire, l’Église et ses évêques.
Les termes de ce contrat permettent de comprendre pourquoi les établissements privés peuvent être considérés, de facto, comme des écoles d’État
Ces deux monopoles ont fini par former un trust éducatif grâce au contrat d’association avec l’État. Les termes de ce contrat permettent de comprendre pourquoi les établissements privés peuvent être considérés, de facto, comme des écoles d’État. Il suffit d’observer le recrutement des maîtres, le paiement du personnel, le financement des établissements, les programmes et l’aspect confessionnel.
Le recrutement des maîtres : les chefs d’établissements sous contrat ne recrutent pas les enseignants de leur choix. Depuis les accords Lang – Cloupet du 11 janvier 1993, les maîtres du privé sont recrutés sur les mêmes critères que ceux du public, c’est-à-dire un concours appelé CAFEP (Certificat d’aptitude aux fonctions d’enseignement dans les établissements d’enseignement privé du second degré sous contrat). Ainsi depuis 1995, les maîtres du privé doivent passer ce CAFEP, en tout point identique au CAPES qui est le concours de recrutement du public, et l’État nomme les enseignants dans un établissement avec l’accord du directeur.
Le paiement du personnel : puisque les maîtres du privé sont nommés par l’État, avec l’accord du directeur, leur rémunération ainsi que les charges sociales et fiscales y afférents sont assurées par l’État, tandis que les collectivités territoriales prennent en charge avec l’État les dépenses de personnel et de fonctionnement des établissements. La carrière et le statut des enseignants du privé sont comparables à ceux du public et sont régis par les textes réglementaires.
Le financement des établissements : les collectivités territoriales sont mises à contribution et sont obligées de prendre en charge les dépenses de fonctionnement des classes primaires pour la commune, du collège pour le département et des lycées pour la région, et ce de manière obligatoire. Si le privé est payant, ce n’est pas pour couvrir les frais d’enseignement puisqu’ils sont, de par la loi, « gratuits ». Les familles mettant leurs enfants dans le privé ne paient normalement que pour couvrir les investissements, l’enseignement religieux ainsi que la demi-pension et l’internat pour ceux qui choisissent ces régimes.
Les programmes : l’enseignement est dispensé selon les règles et les programmes appliqués dans le service public. Les établissements sous contrat mettent en application les programmes scolaires définis par le ministère de l’Éducation nationale selon des instructions officielles que chaque professeur est tenu de connaître afin d’enseigner dans l’esprit, voire la lettre, de ce qu’est en droit d’attendre l’État.
L’aspect confessionnel : ces établissements sous contrat sont de fait laïcs même s’ils sont presque tous placés sous une confession, catholique pour la quasi-totalité. Mais par un effet inattendu du mode de recrutement mis en place par les accords Lang – Cloupet, le catholicisme ne devient plus qu’une dénomination petit à petit vidée de sa substance et qui s’apparente maintenant à un souvenir historique. Les concours de recrutement du privé organisés par l’État entraînent de fait une laïcisation du personnel et de l’esprit des institutions privées. La religion est devenue un critère plus que marginal dans l’embauche des professeurs.
Dans ce cas, le substantifique choix des parents-contribuables s’effectue entre des établissements privés appliquant les programmes de l’Éducation nationale avec des enseignants assimilés fonctionnaires et des établissements publics appliquant les programmes de l’Éducation nationale avec des enseignants fonctionnaires. On l’aura compris, la redondance même de cette phrase caractérise la similitude du public et du privé. Le grand service public de l’éducation dont le Président François Mitterrand rêvait est donc devenu une réalité objective.
En conséquence dans 99,3% des établissements les professeurs sont directement payés par l’État et les programmes de l’État sont appliqués
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2011, 65.661 établissements scolaires quadrillent le territoire français. Sur cet ensemble, 56.404 sont publics, soit 85,9%, 8.769 sont sous contrat, soit 13,4%, et 488 sont indépendants, soit 0,7%. En conséquence dans 99,3% des établissements les professeurs sont directement payés par l’État et les programmes de l’État sont appliqués. Qu’elles que soient les subtilités qui peuvent être présentées quant à la pédagogie, à l’innovation ou à la discipline, le monopole de fait de l’Etat ne peut être que constaté : il est la réalité française.
En considérant toutes ces données, on ne peut pas s’empêcher de penser que les contribuables qui mettent leurs enfants dans le privé se font bernés par l’Etat. Car non seulement les programmes éducatifs sont les mêmes dans le privé et le public, mais financièrement ces contribuables paient l’école privée par le coût de l’inscription tout en continuant à payer pour l’école publique par leurs impôts. C’est ce qui s’appelle une double-peine.
André Ferrer
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