Sans doute distrait par les fêtes, le Conseil constitutionnel a en définitive validé la mesure offrant à l’administration une nouvelle procédure de répression des abus de droit pour écarter les opérations qui auraient un but « principalement » fiscal (voir notre chronique du 10 décembre 2018).
Auparavant, le fisc devait démontrer un but « exclusivement » fiscal, ce qui était tout de même moins sujet à caution.
Le seul tempérament accordé par le législateur réside dans la sanction : la procédure de l’abus droit pour motif exclusivement fiscal conduit à des pénalités automatiques de 40 ou 80 %, alors que celle pour motif principalement fiscal conduit automatiquement à un redressement simple, des pénalités de 40 ou 80 % restant possibles mais non automatiques.
Le contribuable appréciera la nuance…
La nouvelle disposition, contestée par tous les professionnels aussi bien du droit que de la gestion de patrimoine, constitue une intrusion dangereuse du subjectif dans un domaine qui, pourtant, devrait rester purement objectif. Les principes de sécurité juridique et d’égalité devant l’impôt, censés protéger le contribuable, ne sont plus que de vains mots.
En effet, comment savoir si un acte voulu par un contribuable est motivé « principalement » par des raisons fiscales, ou simplement « entre autres » ou encore « notamment (mais pas seulement…) » ? Qui décidera de placer le curseur et à partir de quand permettra-t-il de déclencher le redressement ? Avec ou sans pénalités ?
D’ailleurs, de quel droit l’administration devient-elle autorisée à juger des motivations d’un acte, dès lors que celui-ci est parfaitement légal ?
Le critère du motif « exclusivement » fiscal pour requalifier l’acte ou l’écarter semblait être la limite à ne pas franchir. Le seul cas où l’ingérence du fisc pouvait être admise car fondée sur une situation objective. La situation est différente avec un simple motif principal d’atténuer les charges fiscales car les termes mêmes du texte impliquent que l’acte initial, dans sa qualification d’origine, demeure. Dès lors, c’est en réalité la remise en cause de l’opération par l’administration qui devient surtout abusive beaucoup plus que l’usage du droit fait par le contribuable.
La nouvelle disposition revient en fait à obliger tout citoyen à choisir la solution fiscale la plus onéreuse. Ce qui est contraire à tous les principes élémentaires de libertés publiques.
Le nouveau cadre juridique posé par le texte crée une situation d’autant plus instable qu’il concerne ce qu’on appelle les cas de « fraude à la loi ». C’est-à-dire que l’administration écartera un acte lorsqu’il sera motivé par une recherche d’économie fiscale obtenue par une application littérale d’un texte à l’encontre des objectifs poursuivis par son auteur. Or, l’intention du législateur ou des rédacteurs d’un décret n’est pas toujours évidente. Faudra-t-il vérifier avant chaque opération légale en apparence si l’intention du rédacteur est bien respectée ? Si ce n’est pas le cas, faudra-t-il vérifier que l’opération comporte un gain fiscal même involontaire ?
Si tel est le cas, comment alors prouver que ce gain n’est qu’accessoire et non la motivation « principale » ? On le voit, les sujets d’interprétation vont se multiplier et avec eux les contentieux, et cela alors même que le contrôleur et le contribuable seront de bonne foi dans leur analyse mais forcément avec des postulats de départ différents.
Malheureusement, le texte a été voté et a donc aujourd’hui force de loi et doit être appliqué. L’administration ne s’en réjouit d’ailleurs pas forcément car un contrôleur est un être humain comme un contribuable et préférera toujours travailler sur des textes solides, et non bancals, et qui lui donnent des solutions juridiquement objectives.
A l’heure des restrictions budgétaires, il n’est pas certain non plus que l’administration voie d’un bon œil l’arrivée massive des contentieux à gérer.
Et avant le contentieux, l’administration risque même d’être noyée sous les demandes de validation préalable. En effet, seul tempérament positif à la mesure, le contribuable peut former un rescrit auprès de l’administration pour obtenir confirmation que l’acte qu’il envisage reçoit son assentiment, le silence de l’administration pendant six mois valant accord tacite. La nouvelle procédure de répression des abus de droit recouvrant un champ tellement vaste avec des conséquences tellement graves, il est clair que nombre de professionnels vont conseiller à leurs clients de déposer un rescrit pour garantir leur situation.
Il est donc à craindre que l’administration ne soit rapidement submergée par les demandes qui, faute de moyens humains, conduiront à des accords tacites à la chaîne. D’autant que le rescrit devant être déposé par écrit devant l’administration centrale, l’engorgement sera rapidement atteint.
Ce texte, sans nul doute mauvais, contient donc peut-être en son sein sa propre mort, si les contribuables, avant toute donation, démembrement, pension alimentaire, opération patrimoniale, défiscalisation immobilière, n’utilisent la précaution offerte par la loi d’interroger l’administration.
L’entrée en vigueur est prévue pour les actes réalisés à compter du 1erjanvier 2020. Il sera donc intéressant de constater si un courant de rescrits apparaît à compter du 1er juillet prochain, le temps que s’écoule le délai de 6 mois valant accord.