Entretien issu du Tous contribuables #31 " Jeux Olympiques. Plus vite, plus haut, plus cher !" (Juin-Août 2024).
- Initialement évalué à 6,8 milliards d’euros en 2017, le budget total des Jeux Olympiques atteint aujourd’hui 9 milliards. Ce dérapage était-il évitable ?
La France ne sait pas maîtriser ses dépenses publiques. Elle a pris cette mauvaise habitude de vivre au-dessus de ses moyens. Si le dépassement reste dans l’épure que vous évoquez, nous resterons dans des limites « acceptables ».
À ce jour, le budget est déjà de 8,8 milliards d’euros, selon la Cour des comptes, dont 1,7 milliard d’argent public. Comparé à d’autres budgets d’organisation des JO, le budget français est raisonnable.
Pour être crédible, il faut être tout à la fois à charge et à décharge. Une partie des équipements publics, bâtie ou modernisée à l’occasion des Jeux aura une durée de vie longue, au-delà de cet été 2024. Les travaux de modernisation des transports publics ont été anticipés. Ils étaient nécessaires et ils seront utiles aux Franciliens. Le système de transports publics en Île-de-France est pour partie vétuste. Il a été peu ou mal entretenu.
On peut donc considérer les JO comme une opportunité pour acheter du temps. Prenez l’exemple des JO de Londres. Les investissements publics et surtout privés ont permis de réhabiliter l’East End de Londres qui était par le passé une zone de non-droit.
Dans le cas de Paris, les Jeux concentrent l’effort sur la Seine-Saint-Denis, en retard d’équipements collectifs. La question, c’est celle de l’avenir. Ces nouveaux équipements seront-ils entretenus, sont-ils durables ? Dans une société où l’espace public est maltraité, on peut se poser la question.
- JO plus chers que prévu : cette situation peut-elle déséquilibrer un peu plus les comptes de Paris et provoquer une nouvelle hausse des impôts locaux ?
La Cour des comptes a estimé à 500 millions d’euros le budget d’investissement JO de la Ville de Paris. Il faut retrancher environ 150 millions de recettes induites pour les finances locales. C’est une dépense nette de 350 millions. J’ai envie de vous dire simplement : au point où ils en sont !
La dette parisienne est considérable. 8,8 milliards d’euros de dette en 2024, c’est le budget des JO ! Anne Hidalgo a doublé la dette parisienne. C’est la pire gestionnaire dans l’Histoire de la Ville, à tel point que la Mairie doit avoir recours à des artifices comme la mobilisation anticipée de ses recettes immobilières pour éviter une crise financière mortifère.
Dans Paris, les JO vont soutenir l’activité du secteur des services, les cafés-hôtels-restaurants, le commerce qui en a bien besoin. Ils bénéficieront aux entreprises de ces secteurs, avec cependant une réserve. La concentration de visiteurs pendant la durée des compétitions, majoritairement Français et pour deux millions étrangers, risque de produire un effet d’éviction des visiteurs occasionnels.
- Selon les estimations de la Cour des comptes, les JO devraient coûter entre 3 et 5 milliards aux contribuables. Pourquoi une fourchette aussi large à quelques semaines de l’ouverture ?
La réponse est simple : on ne sait pas. Dans ce type d’événement, on ne fait les comptes qu’à la sortie. Les dépenses sont connues, les recettes toujours mal cernées.
Pour ces Olympiades, nous sommes de surcroît sous la menace d’interférences associées au terrorisme, à la guerre russe en Ukraine, à l’activisme écologiste. Ces interférences peuvent être physiques ou numériques, dans tous les cas, elles sont de nature à effrayer et pour un événement qui mobilisera 12 millions de visiteurs et autant de consommateurs, l’incertitude est dissuasive.
Je croise les doigts pour que ces JO soient paisibles mais rien ne l’assure compte tenu du niveau de la menace.
- Si on arrive à 5 milliards d’argent public au lieu de 3 milliards, où l’État trouvera-t-il le surplus financier ?
Il fera ce qu’il sait faire : des dettes. Mais cette hypothèse d’un dérapage n’est pas la plus vraisemblable. Évidemment, nul ne peut exclure les coûts cachés ou les coûts imprévus inhérents à l’organisation de grandes manifestations. Les JO de Paris bénéficient toutefois des mauvaises expériences du passé.
On ne devrait pas trouver « d’éléphants blancs », c’est-à-dire d’infrastructures lourdes qui servent une fois et plombent les finances publiques pour plusieurs générations, comme ce fut le cas à Athènes. On peut discuter les priorités et il ne faut pas se priver de le faire : nous investissons presque 1,5 milliard pour rendre la Seine baignable ! Il y avait sans doute plus urgent. C’est un pari environnemental, une ambition de prestige qui n’a rien à voir avec un service public.
- Les « cadeaux » faits à certaines professions (SNCF, aiguilleurs du ciel, etc.) pour éviter les conflits sociaux durant les JO sont-ils pris en compte dans les prévisions de la Cour des comptes ?
Absolument pas. Les primes aux policiers, jusqu’à 1 900 euros, celles annoncées pour les agents des services publics en première ligne (de 1 000 à 1 500 euros) sont à la charge des entreprises ou des administrations. C’est un budget à part.
Les JO offrent une fenêtre de négociation pour les organisations syndicales. On peut parler de gain d’opportunité mais soyons clairs et posons les bonnes questions : qui a demandé aux patrons de la RATP et de la SNCF de tout faire pour éviter des perturbations pendant les Jeux ? L’État actionnaire.
La réforme de l’aménagement des fins de carrière à la SNCF qui déroge aux principes de la réforme des retraites est le produit d’une injonction de Matignon aux dirigeants de l’entreprise.
Cette réforme interne a sans doute coûté sa place à Jean-Pierre Farandou mais s’il en a pris l’initiative, c’est parce qu’on ne lui a pas laissé le choix !
Cette propension des dirigeants politiques à charger les patrons des entreprises publiques de leurs propres turpitudes est insupportable.
- La piscine construite en Seine-St-Denis en vue des J0 a coûté 100 millions d’euros de plus que prévu. Peut-on redouter de nouveaux dérapages avec la construction d’autres équipements sportifs ?
Le risque est faible. Les infrastructures existaient déjà. Dans le cas de la piscine olympique en face du Stade de France, l’estimation de départ n’était pas réaliste. C’est un biais assez français. Pour rendre plus attractive la copie de départ, on minore les coûts. Ça nous rappelle un épisode récent de l’actualité, celui des prévisions budgétaires très, voire trop optimistes.
- La Ville de Paris a-t-elle sous-estimé les coûts, notamment en matière de sécurité, pour séduire le Comité international olympique ?
Entre l’attribution des Jeux à Paris et ce printemps 2024, le contexte a changé. La menace est protéiforme. À l’évidence, la sécurité sera capitale pour réussir les Jeux. C’est le type de dépenses qu’on ne doit pas rationner. À la fin, c’est toujours le contribuable qui paie. Les élus qui choisissent de travestir la réalité pour convaincre ne sont jamais poursuivis. C’est triste à dire mais la lucidité n’est pas toujours récompensée.
- Le processus d’attribution des J0 à partir d’un processus d’enchères doit-il être réformé pour éviter la winner’s curse, la malédiction financière de la ville lauréate ?
Votre question est complexe. Je suis convaincu qu’on peut organiser des Jeux sans se trouer les poches. Il ne faut pas laisser l’olympisme à des régimes autoritaires peu soucieux de considérations financières.
Certaines villes lauréates ont réussi des Jeux équilibrés, voire bénéficiaires comme ce fut le cas à Los Angeles. Dans ce cas précis, le secteur privé a pris la main et c’est sans doute la raison pour laquelle les Jeux de 1984 ont dégagé un bénéfice de 180 millions de dollars.
- En définitive, la France va-t-elle gagner ou perdre de l’argent ?
Le contexte est tellement « gazeux » qu’il est impossible de se projeter. Quoi qu’il en soit, les JO n’ont pas été conçus pour produire des profits. L’immense majorité des visiteurs viendra de France. Les dépenses associées aux JO sont financées par l’État, les collectivités, la billetterie et les partenaires privés du comité d’organisation. Les recettes, exception faite de la billetterie, seront plutôt perçues par le secteur du commerce, des services et des loisirs et par l’État à travers la TVA.
Ceux qui encaisseront ne sont pas ceux qui auront payé.
Si tout se passe bien, l’exercice devrait être équilibré. On parle d’un surplus de 0,3% de PIB. Au point où nous en sommes, ce n’est pas tout à fait négligeable.
Propos recueillis le 12 mai 2024 par Fabrice Durtal
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