Nos gouvernants ont fini par admettre que les malheurs économiques de la France étaient dus au manque de compétitivité de nos entreprises. Nous n’aurions pas un taux de chômage double de l’allemand, ni un taux de croissance en 2014 de 0,4 %, contre 1,6 % pour l’Allemagne, si nos entreprises se battaient à armes égales contre leurs concurrentes allemandes, au lieu de supporter des charges fiscales et sociales supérieures de 140 Md € par an à celles des allemandes. Aussi, pour que nos entreprises soient compétitives, faudrait-il que nos dépenses publiques ne soient pas supérieures, à population égale, de 240 Md € à celles de l’Allemagne. Or près de la moitié de cette différence est due à la différence de rémunération des fonctionnaires entre la France et l’Allemagne. D’où l’importance d’une bonne connaissance et d’un bon contrôle de cette rémunération.
C’était en 2006 une des raisons de la création d’un « opérateur national de paie » des fonctionnaires de l’Etat (ONP), qui aurait centralisé la paie de ces fonctionnaires, disséminée entre de nombreux services de paie dépendants des différents ministères, et aurait permis une connaissance plus fiable de celle-ci. Cette centralisation permettait en outre une économie de 3.800 postes de travail. L’opérateur, employant 130 personnes, a travaillé pendant sept ans à ce projet, pour un coût « au minimum » dit la Cour des comptes de 346 M €. En mars 2014 ce projet a été abandonné.
Dans son dernier rapport public annuel la Cour des comptes en donne deux explications principales : instabilité du personnel de l’ONP (quatre responsables de l’informatique en cinq ans) et réticences des administrations à lui fournir les informations nécessaires. « Les ministères ont été généralement réticents». Car un des objectifs de l’ONP était de « mettre un terme définitif aux pratiques de paie irrégulières ». « La DGAFP (l’administration qui gère les fonctionnaires) partageait les objectifs poursuivis par le programme ONP, en particulier la création d’un calculateur unique pour résorber les pratiques irrégulières de paie et prévenir leur réémergence ». Cependant « en dépit des demandes de l’opérateur, la DGAFP n’a pas souhaité ou pu ralentir le rythme de création de nouvelles primes et indemnités ». Car « la création de l’opérateur a suscité les inquiétudes de certaines organisations syndicales ».
Les ministères et les syndicats souhaitaient en effet conserver leurs habitudes de primes illégales versées aux fonctionnaires. Il y a 1500 « éléments de paie » à prendre en compte pour calculer la paie des fonctionnaires de l’Etat. Il eut fallu « une remise en ordre et une simplification des règles de rémunération des agents publics ». Mais personne ne voulait de cette simplification. Même pas le ministère des Finances. « Le ministère de l’économie et des finances ne faisait paradoxalement pas partie des ministères pilotes du raccordement. Selon les derniers calendriers disponibles, il n’aurait pas été en mesure de se raccorder au SI-Paye (le nouveau système) avant 2021 ». Cette situation n’a sans doute pas surpris la Cour. Pendant des années elle avait demandé sans succès la suppression de primes illégales versées au personnel de ce ministère. Finalement elle avait obtenu une satisfaction partielle : les primes illégales n’avaient pas été supprimées, mais les décrets qui les rendaient légales avaient été rédigés !
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le ministère de la Défense avait en 2013 abandonné la centralisation de la paie de son personnel. Pourtant l’objectif du programme « Louvois » était plus modeste que celui de l’ONP. Il s’agissait seulement d’étendre à l’armée de Terre et à la Marine les programmes de paie qui fonctionnaient dans l’armée de l’Air. Mais les 170 primes diverses versées dans l’armée de Terre n’ont pas été correctement décrites aux personnes chargées de la mise en marche de Louvois. Au démarrage de ce programme des milliers de paie étaient erronées, dont des centaines de paie versées pour un montant de plus de 10.000 € par mois. Celles-ci n’ont pas toujours été récupérées. Car les différents centres de paie avaient été fermés, et leur personnel dispersé. Après l’abandon de Louvois, il a fallu recruter et former un nouveau personnel pour essayer de récupérer le trop-versé, la priorité étant toutefois donnée à la correction des paies insuffisantes.
Les primes illégales, combinées dans son coin par chaque ministère, ont donc eu la priorité, pour l’ONP comme pour le ministère de la Défense, sur un système clair, honnête, légal, économe, informatisé. Les fonctionnaires ne veulent pas lâcher leurs privilèges !
Un deuxième exemple en est donné dans le rapport de la Cour des comptes : celui de la distribution gratuite d’actions au personnel d’une filiale à 100 % de la Caisse des dépôts, CdC entreprises. Depuis 2008, 60 salariés de cette entreprise, soit la moitié de son effectif, ont bénéficié d’actions gratuites qui leur ont rapporté en moyenne 138.000 € par personne. En 2013 cette société a été absorbée par la nouvelle BPI (Banque publique pour l’investissement). Celle-ci a racheté les actions obtenues gratuitement par le personnel, au prix moyen de 120.000 € par personne (et de 293.000 € pour les membres du Comité de direction). Ces rémunérations extravagantes s’ajoutaient évidemment aux rémunérations normales perçues par ces agents. La Cour constate que « la Commission de Surveillance (de la Caisse des dépôts) n’a pas été informée de la mise en place du programme d’attributions gratuites d’actions, dont elle a pris connaissance en mai 2013 ». « La Caisse des dépôts doit impérativement intensifier les efforts qu’elle dit avoir entamés pour mettre en place un dispositif permettant de connaître et de contrôler les rémunérations, dans toutes leurs composantes, au niveau du groupe Caisse des dépôts ». La Cour oublie cependant de signaler que le Président de CDC entreprises, responsable de la mise en place de ces scandaleuses rémunérations, était conseiller-maître de la Cour des comptes et a par la suite été promu à un poste plus important !
Un troisième exemple est fourni par les primes versées outre-mer aux fonctionnaires civils de l’Etat. Ces primes, supposées compenser la « vie chère » dans ces départements et territoires, vont de 40 % du traitement de base aux Caraïbes à 54 % à la Réunion et jusqu’à 106 % en Polynésie. Comme il y a par habitant 30 % de fonctionnaires de l’Etat de plus outre-mer qu’en métropole, elles contribuent à la « vie chère » qu’elles sont supposées compenser. D’autant plus qu’elles ont été étendues aux fonctionnaires des collectivités locales, dont les effectifs sont aussi par habitant de 30 % supérieurs à ceux de la métropole. Il s’agit d’un « inextricable maquis législatif et réglementaire ». Et même en partie illégal : « le régime applicable à La Réunion se singularise par une base juridique irrégulière pour une partie des surrémunérations ». La Cour chiffre le surcoût, pour les seuls fonctionnaires civils de l’Etat, à 1,18 Md € (pour 90.000 fonctionnaires, dont 63 % d’enseignants). Il ne faut pas s’étonner que « les demandes d’affectation à La Réunion n’ont pas pu être toutes satisfaites à la rentrée 2014 » !
La conclusion de la Cour est claire : « Le dispositif des compléments de rémunération outre-mer est aujourd’hui à bout de souffle : bâti sur une architecture juridique d’une grande complexité et comportant des failles, reposant sur des justifications devenues confuses, pesant lourdement sur le budget de l’État et des collectivités territoriales, sa pertinence et son efficacité sont désormais en question ».
Mais curieusement la Cour ne propose pas de le supprimer. Car il faut ménager les fonctionnaires et leurs syndicats, accrochés farouchement à leurs privilèges. La compétitivité de nos entreprises attendra.
Par Alain Mathieu, président d'honneur de Contribuables Associés.
Assurez-vous d'entrer toutes les informations requises, indiquées par un astérisque (*). Le code HTML n'est pas autorisé.