Il faudrait pendre certains urbanistes. Pourquoi ne pas commencer par le squelette de Le Corbusier ?
L’architecte suisse mort en 1965 a donné le premier coup de truelle à la France du béton, des HLM et des cités. Son architecture de clapiers repose sur le «modulor» une silhouette humaine aux proportions standardisées (1,83 mètre de haut).
Elle dicte ses dimensions à un logement, devenu une «machine à habiter». Son projet, dont les principes sont résumés dans la charte d’Athènes (1933), prône l’édification d’une «ville nouvelle», divisée en quatre «fonctions» : résidence, travail, loisirs et transport.
C’est sur cette base qu’a été construite la Cité radieuse de Marseille (surnommée localement «la Maison du Fada») ou encore l’unité d’habitation de Firminy-Vert (Loire), un bâtiment inhospitalier de 414 logements répartis sur 20 niveaux, qui s’est peu à peu vidé de tous ses habitants...
De Firminy-Vert aux grands ensembles sortis de terre dans toutes les provinces de France et de Navarre on trouve le même moule urbanistique.
Selon l’architecte David Mangin auteur de La Ville franchisée (Éditions de la Villette), un best-seller des années 2000, ce chaos urbain n’est pas sorti de terre tout seul.
C’est la résultante monstrueuse de rapports de force politiques, de visions idéologiques et d’une culture technique totalitaire dont les architectes se sont faits les chantres.
Fruit de la politique volontariste menée durant les Trente Glorieuses dans le domaine de l’aménagement du territoire et de la planification urbaine, certains de ces grands ensembles sont aujourd’hui détruits à l’explosif.
À la fin des années 1990, la France a lancé un programme de démolition d’immeubles HLM en périphérie des villes afin de «casser les ghettos».
En 2015, ce feu d’artifice a concerné la barre 230 de La Duchère (Lyon). Elle a été pulvérisée, tirant ainsi un trait définitif sur la barre des Mille, une cité construite au début des années 1950 par l’architecte François-Régis Cottin.
402. C’est la longueur en mètres de la barre du "Cèdre Bleu" (photo à la une), l’une des plus longues d’Europe au moment de sa construction en 1959, dans le quartier du Haut-du-Lièvre, à Nancy. Elle va être découpée en trois morceaux distincts, les travaux débutant cette année.
Boum ! Ce dynamitage résume le fiasco d’une architecture dont la cité des 4000 de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), dessinée par Clément Tambuté et Henri Delacroix, a longtemps été un symbole.
La destruction de la tour Debussy (1986), une des pièces décaties de ce grand ensemble criminogène, a donné le coup d’envoi d’une rénovation générale.
Comme au Val-Fourré (Mantes-la-Jolie, Yvelines), où les 13 tours dessinées par les architectes urbanistes Raymond Lopez, Henri Longepierre et Marcel Gojard ont été rasées entre 1992 et 2006.
Depuis, d’autres barres d’immeubles ont été soufflées à Béziers (Capendeguy), à Mâcon (Grandes Perrières), à Saint-Étienne où la «Muraille de Chine» fut longtemps la plus grande barre européenne, à Toulouse (Empalot)…
Quand ils ne sont pas détruits, certains grands ensembles sont «remodelés», c’est-à-dire réhabilités par des architectes en cour comme Roland Castro, longtemps proche du PC, qui a notamment opéré dans les cités des Hauts-de-Seine.
En 2020, il a demandé à Emmanuel Macron de lui «donner un blanc-seing» pour piloter le projet de réforme du Grand Paris.
En 2015, son projet de «Central Park» à La Courneuve (93) avait provoqué la colère d’une partie de la population.
Le saccage architectural du pays a aussi été orchestré par l’État. Fidèle à la loi Pasqua de 1995, selon laquelle tout citoyen doit se trouver à moins de 45 minutes d’une autoroute, le pays s’est peu à peu couvert d’échangeurs, de bretelles, de rocades, de ronds-points (lire sur le sujet notre Livre noir des gaspillages 2019)…
Cette déliquescence architecturale s’est accélérée à partir des années 1980.
En 1983, les lois de décentralisation ont laissé le champ libre aux maires en matière de permis de construire. Promoteurs et élus aux goûts architecturaux exécrables ont eu la main lourde sur la bétonneuse.
Les architectes des groupes de BTP ont multiplié des projets sans âme où le toit-terrasse, et les fenêtres en longueur règnent en maître.
La montagne n’a pas été épargnée par ce bétonnage. À Flaine (Haute-Savoie), quelques architectes, dont le Suisse Gérard Chervaz et le Hongrois Marcel Breuer ont, par exemple, créé des cages à lapin «Bauhaus» ouvrant sur l’espace longtemps préservé des alpages…
La construction de Flaine (1960/1976) est symbolique d’une période où les tours et les barres d’immeubles ont cédé la place à des « utopies » urbanistiques comme celles, en Île-de-France, de Cergy-Pontoise, d’Évry, de Melun-Sénart…
En parallèle, la France s’est couverte de hangars commerciaux dans des ZAC qui ont peu à peu asphyxié les magasins de centre-ville alors que les zones pavillonnaires poussaient comme des champignons.
Après le béton gris, le vert concombre. Aujourd’hui, les architectes impliqués dans la construction des éco quartiers (Dieppe, Annecy, Bastia…) sont en train de reformater l’architecture en imposant leur vision du monde de la même façon que les architectes des années 1950 imposaient la leur au nom de la modernité.
Selon eux, il s’agit de passer de l’obscurantisme de la ville ancienne à la cité écolo, rationnelle, dans laquelle l’homme sera rééduqué selon des préceptes verts, sinon vert de gris.
Alexis Constant
Article extrait de otre enquête exclusive sur la politique de la ville "Politique de la ville. 40 ans d'échecs payés par les Français"
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