Entretien initialement paru pour le site de la Revue politique et parlementaire
Comment jugez-vous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron sur le plan économique et social ? Vous disiez dans une interview au Figaro Magazine, au moment de la campagne présidentielle de 2017, qu’Emmanuel Macron n’était pas libéral, et vous écriviez en 2018 que sa politique fiscale tenait du bricolage fiscal. Est-ce toujours le cas selon vous ?
Effectivement j’ai publié dans le Figaro-Magazine en 2017 un article intitulé « Non, Emmanuel Macron n’est pas libéral » (contrairement à ce qui était alors le cas de François Fillon). La France avait connu une faible croissance au cours des années précédentes car les politiques consistaient non pas à respecter le libéralisme, mais au contraire à adopter la croissance de la fiscalité et des règlementations.
Emmanuel Macron avait été nommé en 2014 ministre de l’économie par le président François Hollande. Il m’avait alors semblé évident qu’il n’était pas vraiment libéral, contrairement à ce que l’on prétendait parfois.
Les dépenses publiques ont représenté 59% du PIB en 2021 (et 63% en 2020), un montant un peu plus élevé qu’au cours de toutes les années précédentes ; et le déficit public est lui aussi devenu un peu plus important. Il est évident qu’on ne peut pas considérer comme libéral un président qui accroit les activités publiques par rapport aux activités privées.
A titre d’exemples les assurances pour les dépenses de santé sont publiques plus que privées et le choix de l’âge de retraite résulte d’une décision publique et non d’un choix privé.
Que pensez-vous du postulat (duquel semble partir la plupart des médias dans leur appréhension des clivages politiques actuels) selon lequel il y aurait d’un côté les « mondialistes » et les « libéraux », et de l’autre les « populistes » ? Pendant longtemps, la principale ligne de partage politique et idéologique était celle qui démarquait les libéraux, adeptes de la liberté économique et de la mondialisation par le marché, et les socialistes, favorables à la redistribution et à l’interventionnisme étatique. L’actuel clivage qui semble tenir lieu, notamment dans les médias, de seule et unique grille de lecture du monde politique, ne masque-t-il pas le vrai clivage, c’est-à-dire celui qui oppose les authentiques libéraux d’un côté, et les collectivistes de l’autre ?
Il est vrai – et regrettable – que l’opposition entre les libéraux et les socialistes ne soit généralement pas indiquée à l’époque actuelle par les politiciens et par tous les citoyens. Ainsi il ne convient pas de considérer que les partis politiques de gauche sont socialistes et les partis de droite libéraux.
Les uns et les autres ont à peu près les mêmes conceptions et les mêmes décisions. C’est d’ailleurs pour cela qu’un livre que j’ai publié en 2019 s’intitule Le vrai libéralisme – Droite et gauche unies dans l’erreur1. Les exemples qui figurent dans cet ouvrage prouvent que des politiques équivalentes (non libérales) ont été prises au cours des décennies du passé récent quels que soient les partis au pouvoir.
Je reviens à Emmanuel Macron et à sa politique. Pensez-vous qu’il ait une chance (et déjà une réelle volonté) de conduire, depuis le début de son deuxième mandat présidentiel, certaines des réformes structurelles dont la France a en réalité besoin depuis au moins 40 ans ? Ou bien est-il pour vous davantage probable que d’autres « réformettes » (dans la continuité de celles menées par Chirac, Sarkozy ou Hollande) voient le jour dans les années qui viennent, sur fond probable de communication présidentielle et gouvernementale axée sur la nécessaire « transformation » et « modernisation » de la France – transformation et modernisation qui devraient en effet être une priorité pour notre pays ?
Compte tenu de ce qui vient d’être indiqué et du fait qu’Emmanuel Macron n’a pas profondément modifié la politique économique de la France j’imagine qu’il en sera de même dans le futur. Mais il est certain que si jamais le libéralisme devenait un objectif majeur des convictions politiques des Français (et donc de leurs représentants politiques) il pourrait y avoir un changement important de la politique économique en faveur du libéralisme.
Cela n’est évidemment pas le cas pour le moment, mais il serait très souhaitable que le libéralisme soit évoqué plus souvent et qu’il fasse partie des convictions de partis politiques importants.
Mais si on prenait la peine de publier un grand nombre d’articles en faveur du libéralisme, il se pourrait que les Français en soient mieux convaincus et que cela apparaisse davantage dans les débats politiques et les propositions des candidats politiques.
Les Français (du moins est-ce là une impression qui se dégage lorsqu’on discute avec nombre d’entre eux) semblent toujours assez méfiants à l’égard du capitalisme, du marché libre et de la flexibilité de l’emploi. Beaucoup semblent encore partir du principe que le capitalisme, pour pouvoir être « juste », doit nécessairement être « régulé » par l’Etat. Comment expliquez-vous la persistance de ces idées reçues ? Les médias et l’école ont-ils une part de responsabilité dans la manière dont beaucoup de gens perçoivent encore le capitalisme et le libéralisme ?
Il est certain que la plupart des Français sont méfiants à l’égard du capitalisme (et du libéralisme), en partie pour des raisons différentes. Ainsi les producteurs ne sont pas favorables à la liberté des échanges internationaux, bien que celle-ci permette de mieux satisfaire les besoins des consommateurs (et incite les producteurs à améliorer leurs productions).
Par ailleurs on considère souvent que le capitalisme consiste à privilégier les producteurs par rapport aux salariés et aux consommateurs et on préfère donc que la politique puisse imposer des comportements aux producteurs. Bien entendu les participants de catégories spécifiques considèrent que l’État peut leur procurer des avantages, ce qui ne serait pas le cas du libéralisme.
Mais ces avantages représentent évidemment des coûts de financement pour beaucoup de personnes.
Vous avez écrit en 2007 un ouvrage intitulé Français, n’ayez pas peur du libéralisme (Paris, Odile Jacob). Pensez-vous que les Français, en 2022, ont toujours aussi peur du libéralisme ? Cette peur est-elle liée selon vous à la perte du goût de la liberté individuelle et de la responsabilité chez nos concitoyens ?
Oui, je pense que les Français ont toujours aussi peur du libéralisme. Cette peur provient peut-être pour certains individus du fait qu’ils craignent que la liberté d’autres personnes puisse les inciter à ne pas bien respecter ce qui peut résulter des échanges avec autrui ou ce que l’État peut exiger.
Une chose me frappe en particulier dans les médias français : le fait que l’on parle très rarement de ce qui marche ailleurs, y compris chez nos propres voisins européens ! Prenons le cas de l’Estonie par exemple, qui est membre de l’Union européenne, et dont vous avez parlé dans certains de vos livres. D’importantes réformes y furent conduites dans les années 90 par le Premier ministre alors en exercice, Mart Laar (mise en place d’une « flat tax », privatisations et libéralisation des échanges commerciaux). Or aujourd’hui, d’après le classement de 2022 de la Heritage Foundation, connue pour son indice de liberté économique qui permet de mesurer le degré de liberté économique dans le monde, l’Estonie se classe au 7e rang ! (Par contraste, la France occupe… le 52e rang.) D’autres pays européens figurent eux aussi dans le peloton de tête du classement en question : l’Irlande est 3e, les Pays-Bas 8e, la Finlande 9e, le Danemark 10e, la Suède 11e, la Norvège 14e, l’Allemagne 16e, la Lituanie 17e, la Lettonie 18e. Comment se fait-il selon vous que nous ne parlions presque jamais de nos voisins européens qui ont entrepris de profondes réformes et qui s’en sortent aujourd’hui, sur le plan économique et social, bien mieux que nous ? Les incantations persistantes autour des prétendus bienfaits de notre « modèle social » nous rendent-elles aveugles au point de ne même pas vouloir savoir ce qui fonctionne ailleurs et pourrait ainsi être transposé salutairement chez nous ?
Il est vrai que l’on peut considérer cette situation comme surprenante et regrettable. Mais il semble évident qu’il en est ainsi parce que le libéralisme ne constitue pas un objectif de la plupart des Français et qu’ils n’ont donc pas un intérêt particulier pour le libéralisme des autres pays.
Vous avez écrit un opuscule en 2014 intitulé Libérons-nous !, dans lequel vous tentez de convaincre les Français de l’importance de rejeter de poids de l’étatisme pour enfin renouer avec le goût de la liberté individuelle, sans laquelle il ne saurait y avoir de prospérité durable. Comment davantage de nos concitoyens encore, en 2022, pourraient-ils prendre conscience qu’il est dans leur intérêt de ne plus suivre la « route de la servitude », pour citer Friedrich Hayek, c’est-à-dire la route du collectivisme et de l’étatisme ?
Il est évident que je n’ai pas eu le moyen de convaincre beaucoup de Français qu’il conviendrait de prendre des décisions pour contribuer à faire diminuer l’étatisme.
Cela n’est pas surprenant dans la mesure où ils n’ont pas été convaincus par le libéralisme lorsqu’ils étaient à l‘école et à l’Université ou lorsqu’ils lisent des journaux et écoutent la télévision.
Mais il est évidement souhaitable qu’un nombre considérable de publications concernant le libéralisme puisse exister prochainement.
Propos recueillis par Matthieu Creson
Une voie trop peu entendue.
Merci !
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