Pour Philippe Nemo il y a deux conceptions de l’impôt.
La première est celle de l’«impôt-échange » de services procurés par l’Etat : sécurité intérieure et extérieure, routes et réseaux (eau, égoûts, etc). Le contribuable paie par l’impôt les services que seul l’Etat peut rendre.
Pour tous les services de sécurité (police, justice, armées), l’impôt s’apparente ainsi à une prime d’assurance, à ceci près que l’Etat n’indemnise pas les victimes des malfaiteurs.
Pour ces services de sécurité, la protection fournie est la même pour tous. L’impôt qui les finance devrait donc en principe être le même pour tous. Un principe difficile à promouvoir !
L’impôt-échange privilégie l’impôt sur les choses à l’impôt sur les personnes, moins facile à percevoir et plus intrusif. C’est ainsi qu’ont été créées les « quatre vieilles » existant à la Révolution française : taxe foncière, contribution mobilière, patente, portes et fenêtres.
En 1816, elles représentaient 74 % des recettes du budget de l’Etat, le solde étant fourni par les droits de douane et d’enregistrement.
La deuxième conception est celle de l’«impôt-redistribution » qui fait payer les riches pour distribuer aux pauvres. L’assiette de l’impôt est alors le revenu et la fortune des contribuables. Dans une première version, l’impôt versé par un citoyen est calculé « en raison de ses facultés » comme l’énonce la Déclaration des droits de l’homme de 1789.
En français moderne, l’impôt est alors proportionnel aux revenus ou à la fortune du contribuable.
Dans une deuxième version, il devient progressif, c’est-à-dire à taux croissant avec les revenus ou la fortune. C’est ainsi que la Convention décrète en 1793 un emprunt forcé progressif. Le Directoire fait de même en 1795 et 1798.
La progressivité est justifiée par le fait que le « superflu » doit être enlevé aux riches, pour financer le nécessaire des pauvres. On aura ainsi une « République d’égaux ». Pour Babeuf, il faut « bannir l’oisiveté et le luxe ».
Karl Marx propose dans Le Manifeste communiste de 1848 de confisquer tous les revenus au-delà de 9 000 livres par an, afin d’«arracher petit à petit le capital à la bourgeoisie ». Il y faudra, écrit-il, une « violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production ».
De son côté, l’Angleterre crée l’impôt progressif sur le revenu en 1798 pour financer les guerres contre Napoléon, le supprime, puis le recrée en 1842 pour remplacer les droits de douane et en 1852 pour financer la guerre de Crimée.
Aux Etats-Unis, il est créé en 1861 pour financer la guerre de Sécession et en France en 1914 pour financer la guerre imminente. Son taux supérieur est de 2 % en 1914, passe à 10 % en 1917, à 20 % en 1918, à 50 % en 1920, à 72 % en 1924 (Cartel des gauches). Raymond Poincaré le fait retomber à 30 % en 1928.
Les opposants à l’impôt progressif n’ont pas manqué d’arguments.
Le promoteur français de l’impôt progressif sur le revenu, le ministre des Finances Joseph Caillaux, avait un curieux argument : réduire la ponction fiscale !
A la Libération, les conceptions marxistes du Conseil National de la Résistance prévalent. Elles sont toutefois contestées par les mutualistes : « On porte gravement atteinte aux libertés des assurés en leur retirant le droit de s’assurer librement » affirme une affiche publiée en 1945 par la Fédération nationale de la Mutualité française.
Mais la redistribution est mise en place : les cotisations sont proportionnelles aux salaires, alors que des prestations, maladie par exemple, sont égales pour tous.
Les prélèvements obligatoires explosent, passant de 10 % du PIB en 1913 à 34 % en 1974 et 46 % en 1986.
La main de l’Etat est devenue « la main qui prend ». L’impôt n’est plus « consenti ».
Philippe Nemo réfute les quatre principaux arguments en faveur de la progressivité :
Le nouvel impôt sur la fortune immobilière qui va remplacer l’ISF est une application de ce raisonnement. En réduisant les investissements immobiliers, il démontrera rapidement sa fausseté.
Pour Philippe Nemo, la véritable motivation de la progressivité fiscale est l’envie, une passion collective soudant ses adeptes contre un bouc émissaire, la classe des riches. Cette passion, prenant sa source dans le cœur et non dans le cerveau, est difficile à combattre.
Il suggère un moyen constitutionnel de réduire cette dictature de la majorité : renouveler les assemblées parlementaires par fraction chaque année, ce qui freinerait les conséquences des mouvements brusques de l’opinion, causant les augmentations massives d’impôts.
Il propose aussi que le vote des budgets publics commence par le vote des impôts, avant celui des dépenses, ce qui diminuera les demandes de dépenses publiques.
Notre gouvernement a lancé la « flat tax », impôt à taux unique de 30 %, sur les revenus du capital. C’est une excellente application des conclusions de Philippe Nemo sur les défauts de la progressivité de l’impôt !
Le jour où le gouvernement franchira l’étape suivante, la flat tax sur tous les revenus, que pratiquent avec succès 41 pays, il pourra ériger une statue à Philippe Nemo, le philosophe qui défend intelligemment cette réforme.
Alain Mathieu, président d’honneur de Contribuables Associés
Philippe Nemo : « Philosophie de l’impôt », Éditions PUF, 240 pages – septembre 2017
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