L’obligation programmée de déclarer ses revenus par voie électronique constitue une aberration juridique que ne devrait pas laisser passer le Conseil constitutionnel.
Le projet de loi de finances prévoit de sanctionner d’une amende de 15 € les contribuables obsolètes qui oseraient encore déclarer leurs revenus par voie épistolaire, à l’aide de pâte à papier. La mesure paraît à la fois dérisoire et scandaleuse. Dérisoire car on aurait pu penser qu’un gouvernement qui doit faire face à plus de 2 mille milliards de dettes aurait recours à des moyens autrement plus audacieux pour trouver de l’argent et surtout en dépenser moins. Scandaleux car cela revient à de l’intrusion pure et simple dans la vie des foyers pour leur dire que maintenant cela suffit, on abandonne le crayon de bois et on pianote sur son clavier. Quoi de plus liberticide ? Sans compter le mépris que cela dénote à l’égard des personnes qui préfèrent les moyens traditionnels de communication.
Mais surtout le dispositif rivalise de naïveté et d’irréalisme. En effet, il énonce que « La déclaration et ses annexes sont souscrites par voie électronique par les contribuables dont la résidence principale est équipée d’un accès à Internet. Ceux de ces contribuables qui indiquent à l’administration ne pas être en mesure de souscrire cette déclaration par voie électronique, utilisent les autres moyens… ». Une telle rédaction laisse pantois : Comment vérifier la bonne foi de celui qui indique que, bien que connecté internet, il n’est pas « en mesure de déclarer par voie électronique » ? Et quelles seront les circonstances de force majeure admises par le fisc ? Suffit-il d’avoir une conjonctivite qui interdise de regarder un écran ? Une panne de secteur ou d’internet la veille de la date limite est-elle une raison valable ? Une interruption de l’abonnement le mois de la déclaration serait-elle suffisante ? Le déplacement pour voyage d’affaires du mari qui est seul à savoir se servir de l’ordinateur pourrait-il justifier le recours au papier ? Un séjour printanier dans la maison de campagne dépourvue de moyens de communication modernes sera-t-il admis ?
On le voit, le texte baigne à la fois d’angélisme et d’esprit discrétionnaire. Selon le bon plaisir du fisc et la gentillesse de l’agent des impôts de sa commune, on acceptera ou non l’excuse qui sera présentée pour déposer une déclaration papier.
L’insécurité juridique atteint ici des sommets et la loi de finances devient la loi de l’arbitraire. Espérons que le législateur redescendra sur terre, avant que le Conseil constitutionnel ne s’en charge. Car nul doute qu’une loi qui tue la liberté de déclarer comme on veut, laisse à l’administration le soin de choisir ses excuses et met le contribuable dans la plus totale insécurité ne soit contraire à nombre de principes constitutionnels : Liberté, égalité devant les charges publiques, proportionnalité etc.
Et encore, le bon sens n’est pas encore inscrit dans la Constitution, ce qui est bien dommage…