Jean-Paul Gourévitch est consultant international sur l’Afrique et les migrations. Il est l'auteur de plusieurs études pour Contribuables Associés.
Désinformation, j’écris ton nom
Ce rapport achevé en janvier 2020, donc avant le Covid-19, et rendu public le 5 mai a déclenché une polémique qui a connu une audience médiatique limitée, l’actualité étant accaparée par l’épidémie.
Il ne manque pourtant pas d’intérêt, tant dans son contenu que par la transcription que les medias en ont donnée.
On comparera utilement trois titres publiés le même jour (5 mai 2020) :
- « La Cour des comptes prône une relance de l’immigration professionnelle » afin de moderniser la politique d’immigration (magazine Challenges).
- « Immigration : la Cour des comptes étrille les lourdeurs administratives » avec en sous-titre « Avec 3,72 titres de séjour délivrés pour 1000 habitants, la France se situe parmi les grands pays les plus restrictifs derrière les Etats-Unis » (journal Le Monde).
- « Dans un audit inquiétant, la Cour des comptes chiffre le coût de l’immigration à 6,6 milliards d’euros en 2019 » avec le décryptage suivant « Tout ou presque dysfonctionne dans l’entrée, l’accueil et le séjour des étrangers en France » (journal Le Figaro).
Ces trois medias se sont contentés d’extraire pour leur manchette ce qui allait conforter leur lectorat. Présentation technique centrée sur l’emploi pour Challenges et de tendance immigrationniste pour Le Monde qui insiste sur le retard de la France sur ces voisins.
Aucun des deux ne mentionne dans sa titraille l’augmentation des flux d’entrée, ni celui des coûts, ni celui des déboutés restant sur le sol français qui figurent dans le rapport.
Présentation au contraire négative pour Le Figaro qui pointe immédiatement les dysfonctionnements de la politique d’immigration et son coût, sans évoquer l’impact de mesures d’économies du gouvernement ni les préconisations de la Cour.
L’augmentation des titres de premier séjour
Le nombre de premiers titres de séjour délivré par habitant résident n’a pas grand sens si l’on n’examine pas à quel type de séjour ils correspondent. C’est à ce classement que s’attache le rapport de la Cour des comptes qui examine l’ évolution chronologique de leur délivrance.
Si l’augmentation régulière est bien visible et s’explique par une progression constante de l’immigration étudiante et de l’immigration humanitaire, aucune explication n’est donnée sur le saut qui voit l’immigration économique, c’est à dire de travail, progresser de 65% par rapport à l’année précédente.
Consciente du fait que cette segmentation n’est plus pertinente aujourd’hui, la Cour des comptes propose un autre modèle de classement qui réintègre les régularisations dans les titres de séjour et sépare ceux qui ont obtenu un titre, de ceux qui attendent qu’il soit statué sur leur sort.
- Immigration pour séjour durable (main d’œuvre et famille…) : 85 665
- Immigration pour séjour ponctuel (étudiants, saisonniers…) : 98 529
- Immigration pour asile plus régularisation des déboutés présents : 71 762
- Demandeurs d’asile en attente : 139 240
Au total le flux ne serait pas du tout le même puisqu’il passerait de 276 576 à 395 196.
Sur l’immigration de travail, la Cour des comptes constate que la liste des métiers en tension n’a pas été réactualisée depuis plus de 10 ans.
Elle ne propose pas de « relancer l’immigration professionnelle » mais, en s’inspirant du modèle canadien, de l’encadrer, en croisant les données pluriannuelles liées à des métiers où il y a une demande de main d’œuvre qualifiée et la procédure individuelle de sélection des candidats susceptibles de correspondre à ce profil.
Le coût de l’immigration : en pleine confusion
Contrairement à l’affirmation du Figaro reprise par d’autres medias « de droite », la Cour des comptes n’a fait aucune étude directe sur le coût de l’immigration.
Elle s’est contentée de reprendre les chiffres du document, « politique française de l’immigration et de l’intégration », annexé chaque année au projet de finances.
Dans ce document, l’estimation par le gouvernement du coût de la politique française en matière d’immigration et d’intégration est de 5,8 milliards d'euros en 2018, de 6,2 milliards d'euros en 2019 et de 6,7 milliards d'euros en 2020.
Cette évaluation prend en compte les coûts des programmes 303 (immigration et asile) et 104 (intégration et accès à la nationalité française) soit au total 1,7 milliards d’euros auxquels s’ajoutent 17 autres programmes du budget général pour 4,5 milliards d’euros.
Cette évaluation ignore les dépenses des collectivités territoriales (par exemple, la prise en charge des mineurs non accompagnés) et celles des organismes de sécurité sociale.
Ce qui a conduit le Sénat à considérer que faute de « données fiables permettant d'évaluer clairement la situation migratoire de la France et les dépenses qu'elle assume en la matière… les dépenses totales sont en réalité bien supérieures, ce chiffre ne prenant en compte que les dépenses directes de l'État et orientées à titre principal vers les étrangers. »
Le coût de l’immigration se calcule ordinairement à partir de la balance dépenses moins recettes à laquelle on ajoute éventuellement les investissements extérieurs consentis pour freiner l’immigration, et les investissements intérieurs pour améliorer la situation des immigrés et de leurs descendants en évaluant leur rentabilité.
C’est la méthode utilisée dans l’ensemble de nos monographies publiées par Contribuables Associés et dans nos ouvrages¹. On doit donc tenir compte des recettes sociales et fiscales apportées par les immigrés (impôts, taxes sur la consommation, CSG…) et des dépenses consenties sur le plan institutionnel (coût des ministères et des services déconcentrés), sécuritaires (police et justice), sociétales (fraudes, contrefaçon, travail illégal, piratage, prostitution…) dont une partie est imputable à l’immigration.
Le chiffre de 6,7 milliards d’euros ne permet nullement d’évaluer ce que l’immigration représente pour les contribuables. Tout au plus conforte-t-elle l’opinion des experts selon laquelle l’immigration coûte plus qu’elle ne rapporte.
Plus personne aujourd’hui ne prétend le contraire. Le dernier à le faire était Xavier Chojnicki de l’université de Lille 3 avec son équipe. Il a reconnu que ses chiffres de 2010 (bénéfice de 12 milliards d’euros des comptes sociaux) avaient été instrumentalisés par les medias complaisants qui avaient déclaré avec un bel ensemble : « L’immigration rapporte 12 milliards à la France ». Il a tenté d’évaluer en 2012 le bénéfice global de l’immigration ramené à 3,9 milliards en laissant de côté l’immigration irrégulière et en considérant que la contribution des immigrés aux recettes était proportionnelle à celle des non-immigrés.
Et, dans un rapport collectif publié en anglais par le CEPII en 2018 et qui couvre la période de 1979 à 2011, il a admis que la contribution financière de l’immigration est « négative pour toute cette période ». Analyse passée sous silence par les mêmes medias qui avaient encensé les précédentes.
Il faut toutefois reconnaître qu’il y a une différence entre les économistes « de gauche » pour lequel le déficit généré par l’immigration se situe entre 4 et 10 milliards d’euros et les économistes « de droite et d’extrême droite » pour lequel il se situerait entre 70 et 85 milliards d’euros.
On rappellera les chiffres publiés en 2018 dans notre rapport pour Contribuables Associés sur la loi Macron sur l’immigration :
- Déficit de l’immigration légale : 8,5 milliards d’euros.
- Déficit de l’immigration illégale : 3,7 milliards d’euros.
- Investissements extérieurs, à savoir part de l’aide publique au développement pour freiner les flux migratoires : 2, 7 milliards d’euros sur 9 milliards. Rentabilité nulle.
- Investissements intérieurs : éducation, formation, politique de la ville pour développer les compétences et la qualité de vie des migrants et de leurs enfants : 5, 5 milliards. Rentabilité réelle difficilement mesurable et différée jusqu’à l’entrée sur le marché du travail.
L’asile et le problème des déboutés
La Cour des comptes s’est en revanche longuement penchée sur le problème de l’asile, élément-clé de son rapport sur « l’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères ».
La Cour des comptes ne cesse d’en dénoncer les dysfonctionnements et les lenteurs qui sont récurrentes puisqu’elle note que chaque année il y a eu sous-évaluation des demandes, des flux et des besoins, surconsommation des crédits, et que les résultats constatés sur l’année N n’ont pas généré de modification substantielle des prévisions budgétaires pour l’année N + 1.
Nous nous contenterons en suivant l’ordre du rapport de lister les principales conclusions.
- Allongement des délais de décision. Les programmes de numérisation ont pris du retard et ont vu leur coût multiplié par 2,4 en 6 ans. Les conditions matérielles de l’accueil sont toujours défectueuses : saturation des guichets, réception limitée pour résorber les retards. L’augmentation de la demande d’asile, multipliée par 3 entre 2010 et 2019 pour atteindre 154 620 personnes dont 34 920 enfants n’a pas été anticipée.
- Pas de contrôle sur le renouvellement systématique des titres de courts séjour (moins de 1% de refus).
- Augmentation des dépenses de 48% sur 7 ans principalement liées à l’asile pour un tiers et à l’AME (aide médicale d'État) pour un cinquième.
- Système d’entrée engorgé que les nouveaux guichets uniques (GUDA) n’ont pu résorber.
- Hébergement bloqué. Le dispositif national d’accueil ne comporte que 85 055 places et 37 000 sont « occupées par des personnes qui n’en ont plus le droit ». Résultat : en septembre 2019, 47% seulement des demandeurs y sont accueillis.
- Délais de réponse prévus non atteints y compris dans le cadre de la procédure accélérée pour les « pays sûrs » limitée à 15 jours. Si la durée moyenne de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) a pu être réduite de 213 jours en 2015 à 137 jours en 2018, de nombreux cas dépassent encore 18 mois.
- Peu de contrôle des communes concernant la vérification des conditions de logement et de ressources pour le regroupement familial. La Cour des comptes propose que l’OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration) en assure désormais la responsabilité.
- Pour l’immigration professionnelle, nombreuses dispenses de visite médicale et vérification souvent formelle des services du ministère du Travail sur l’opportunité du recrutement d’étrangers à la place de nationaux.
- Régularisations, désormais appelées AES (admissions exceptionnelles au séjour), globalement stabilisées après l’augmentation due à la circulaire Valls de 2012 sur la régularisation des parents d’enfants scolarisés ; mais augmentation significative du nombre de titres attribués à des étrangers mineurs passés de 3 971 en 2010 à 9 532 en 2019. Ils ne concernent pourtant qu’une petite partie du contingent. Les mineurs non accompagnés en France seraient selon nos analyses de l’ordre de 40 000² .
- Le contrat d’intégration républicaine qui a bénéficié à 97 040 personnes en 2018 et correspond à une formation civique de 4 jours et à un apprentissage du français de 200 heures pouvant être porté jusqu’à 600, est suivi avec assiduité par la quasi-totalité des personnes concernées mais la cour constate que la durée du parcours est souvent « insuffisante pour atteindre le niveau demandé».
- Pour l’acquisition de la nationalité française, le délai de 270 jours d’instruction est le plus souvent dépassé et « l’entretien d’assimilation » se réduit à 4 à 5 minutes de questions-réponses sur l’histoire et la civilisation française bien loin de l’objectif d’intégration poursuivi.
- Le ratio de départ des personnes en situation irrégulière reste ridiculement bas, autour de 15%. En 2018, le nombre d’OQTF (obligations de quitter le territoire français) prononcées était de 132 978. Il y a eu, après placement dans un centre de rétention administrative (coût moyen 6 234 euros plus le personnel mobilisé), 30 276 départs, dont 10 767 aides au retour (aide de 650 euros plus majoration exceptionnelle maximale de 18 590 euros + assistance au voyage retour + aide éventuelle à la réinsertion) et 15 677 reconduites forcées. On connaît les freins naturels à ces retours : mauvaise volonté des consulats, absence de documents d’identité des personnes concernées, interventions des associations pour empêcher les départs, nécessité d’une escorte. Nous avons plusieurs fois indiqué qu’il n’y avait aucune raison de prolonger une aide au développement pour des pays qui ne voulaient pas accueillir leurs ressortissants, aucune raison de ne pas renvoyer dès leur arrivée dans la zone d’attente des personnes qui avaient déchiré les papiers d’identité qui leur avaient permis d’embarquer ; et aucune raison de financer des associations qui s’opposeraient à l’application des mesures légales quand tous les recours ont été épuisés.
Pour ne pas conclure
Sur les trois objectifs affichés par la politique gouvernementale, « maîtriser l’immigration », « garantir le droit d’asile » , « réussir l’intégration », la Cour des comptes dans son rapport propose des remédiations parfois utiles (raccourcissement des délais, recadrage de l’immigration de travail, contrôle des titres, mesures particulières à Mayotte) mais qui ne répondent pas aux buts poursuivis.
Le rapport du Sénat nous paraît plus explicite quand il note que « le dépassement de plus de 26 % de la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, le plus important de toutes les missions du budget général de l'État, résulte de la sous-évaluation massive et chronique, par le Gouvernement, de la demande d'asile et des coûts qu'elle induit… et d'une volonté délibérée de masquer le coût réel de l'immigration ».
Il en conclut que « l'explosion du nombre d'étrangers maintenus en situation irrégulière, l'ineffectivité des mesures d'éloignement prononcées à leur égard et l'augmentation du nombre de régularisations permettent, malgré le manque de données disponibles, de mettre en évidence l'absence totale de maîtrise de la situation migratoire de la France par l'État. »
Jean-Paul Gourévitch
Notes
¹ Les véritables enjeux des migrations, Le Rocher, 2017 et Le Grand Remplacement, réalité ou intox ?, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2019.
² « Les migrants mineurs non accompagnés », Revue des Deux Mondes, décembre 2018- janvier 2019.
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