On ne garde généralement de la Fronde que des images plus ou moins héroïques : la fuite du petit Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye (immortalisée par Alexandre Dumas dans « Vingt ans après ») ou la Grande Mademoiselle faisant tirer les canons de la Bastille sur les troupes royales. On oublie que ce mouvement qui a ensanglanté la France pendant cinq ans, est né d’une question fiscale autour de laquelle ne s’est joué rien moins que notre conception de l’Etat.
Avant de mourir, en 1643, Louis XIII avait laissé un testament instituant un conseil de régence souverain destiné à contrebalancer l’influence d’Anne d’Autriche. Le fils d’Henri IV gardait le pénible souvenir de la calamiteuse régence de sa mère Marie de Médicis. Surtout, il avait en mémoire les intrigues de son épouse et la correspondance qu’elle échangeait avec sa famille espagnole, alors ennemie de la France, à la grande fureur du principal ministre, le cardinal de Richelieu.
Mais, le roi mort, Anne d’Autriche va se révéler une autre femme. Sa haine envers Richelieu (mort en 1642) a fait place à une appréhension plus lucide de son œuvre.
La reine-mère n’est plus la jeune écervelée qui soupirait après le duc de Buckingham : elle a maintenant auprès d’elle Jules Mazarin (1602-1661), et surtout elle doit défendre les intérêts de son enfant, un roi de cinq ans, le petit Louis XIV.
Le premier acte d’Anne d’Autriche va être de faire casser le testament de Louis XIII. Pour cela elle s’adressera au Parlement de Paris, cour de justice suprême du Royaume, constamment rabaissé pendant le ministériat de Richelieu. A vrai dire, elle n’a guère le choix, mais la démarche va se révéler infiniment dangereuse. La régente se met, bien qu’elle y répugne, sous la coupe de ces magistrats avides de recouvrer leurs anciennes prérogatives.
La situation est d’autant plus périlleuse que les caisses royales sont à peu près vides à cause de la coûteuse politique étrangère de Richelieu. Celle-ci était nécessaire pour briser l’encerclement de la France. Les parlementaires refuseront l’enregistrement (les « remontrances ») de plusieurs édits renforçant la pression fiscale, notamment dans le courant de l’année 1647.
Des parlementaires à titre onéreux
Ces parlementaires qui sont-ils ? Issus pour une part de la vieille noblesse d’épée, mais aussi de la haute bourgeoisie devenant peu à peu noblesse de robe, ces magistrats professionnels sont des officiers, ce qui veut dire, sous l’Ancien Régime, qu’ils sont propriétaires de leur charge. Une charge qu’ils ont achetée ou qu’ils ont reçue en héritage, en vertu du principe de la vénalité des offices apparu à la toute fin du Moyen Âge. Toutefois, la transmission héréditaire de la charge est plus récente et met en jeu des mécanismes complexes.
Au XVIe siècle, lorsqu’un officier meurt, son office peut revenir à l’État ou à ses héritiers. Dans ce dernier cas, il doit payer une taxe « de résignation » qui lui permet, après avoir « résigné » sa charge (avoir démissionné) de la léguer à son fils ou à un autre parent, avec une seule condition : ne pas décéder dans les quarante jours qui suivent la résignation.
En 1604, Sully, ministre d’Henri IV, soucieux de régulariser un système par trop aléatoire institua le « don annuel » : la clause des quarante jours était supprimée, mais l’officier devait s’acquitter tous les ans d’une taxe équivalant au soixantième de la valeur de la charge.
La taxe, surnommée « paulette » (du nom de son instigateur, Charles Paulet), sera renouvelable tous les neuf ans à partir de 1620. C’est cette reconduction qui mettra le feu aux poudres.
Le début de l’incendie
Tout commence par le lit de justice du 15 janvier 1648, procédure qui permet de forcer le Parlement à enregistrer les édits en vertu du principe selon lequel le roi est le juge suprême. La régente, tout comme Mazarin, se lassent de l’opposition manifeste du Parlement aux édits fiscaux.
Le petit Louis XIV âgé alors de dix ans ouvre ainsi la séance solennelle. Les parlementaires commencent leurs « remontrances », et l’avocat général Omer Talon dénonce, dans une violente harangue, la politique de Mazarin et du surintendant des finances Particelli d’Emery (fort inventif en matière d’impôts nouveaux), mais Anne d’Autriche obtient provisoirement gain de cause. De son côté, Mazarin entend dompter ce Parlement un peu trop remuant.
C’est ainsi qu’en mars 1648, après plusieurs mesures individuelles, il fait prendre un édit renouvelant la paulette pour quatre cours souveraines (Parlement, Chambre des comptes, Cour des aides et Grand Conseil) mais obligeant les officiers des trois dernières à renoncer à quatre années de gages (de traitement) pour bénéficier du renouvellement. Il est vrai que ces quatre années de carence étaient compensées en partie par une exemption du droit annuel.
La manœuvre est habile : il s’agit de désolidariser les parlementaires de leurs collègues des autres cours.
Elle se retournera pourtant contre la régente et son Premier ministre : si les seuls officiers concernés par la perte de quatre années de gages protestent vivement, ils sont bientôt rejoints par les magistrats du Parlement de Paris. Pour ces derniers, l’occasion est trop belle de se venger de l’abaissement qu’ils avaient subi sous Richelieu, mais aussi de lutter contre la création de nouveaux offices qui ne manqueraient pas de dévaluer leurs charges.
Surtout, ils ont à l’esprit ce qui se passe de l’autre côté de la Manche avec la Révolution qui menace le trône de Charles Ier. Ces oligarques qui défendent leurs seuls intérêts patrimoniaux oublient un peu vite que le Parlement anglais est, lui, un Parlement élu (du moins en ce qui concerne la Chambre des communes), et ne voient que l’occasion d’instituer une monarchie tempérée par l’argent.
L’engrenage
C’est ainsi que, le 13 mai, les quatre cours souveraines de Paris rendent un « arrêt d’union ». Il s’agit pour leurs membres de se réunir afin de réfléchir à la réforme du royaume. Anne d’Autriche et Mazarin ripostent à ce véritable casus belli par l’abrogation de la paulette (ce qui revient à menacer l’hérédité des offices) mais aussi par des tentatives de conciliation, sans résultat d’ailleurs. Le mois de juin sera particulièrement agité avec des arrestations, ainsi que des arrêts de cassation du Conseil d’État (ou Conseil du Roi).
Le mouvement de contestation culmine le 30 juin avec l’adoption, par les cours souveraines réunies, de vingt-sept propositions tendant tout simplement à instaurer un véritable contrôle du Parlement sur le pouvoir royal. On y trouve, par exemple, un véritable droit de veto parlementaire en matière de fiscalité, mais aussi la révocation des intendants des provinces ainsi que l’institution d’une sorte d’« habeas corpus » (limité il est vrai aux seuls officiers).
Les magistrats oubliaient peu à peu la paulette. Il est vrai que les réactions de la régente et de son entourage, marquées par une perpétuelle oscillation entre fermeté et concessions, ouvrent une large brèche. Des intendants sont révoqués par Anne d’Autriche qui destitue aussi le surintendant Particelli. La quasi-totalité des mesures proposées par les cours souveraines est acceptée.
Mais ces concessions ne sont accordées que de mauvaise grâce. Mazarin profite de la célébration de la victoire du Grand Condé à Lens pour faire arrêter, le 26 août, le conseiller Broussel, le plus extrémiste mais aussi le plus populaire des parlementaires. Cette arrestation déclenchera une véritable révolution qui débordera largement les magistrats frondeurs. Paris se couvrira de barricades tandis que la Fronde gagnera la province et que bourgeois et grands seigneurs se mettront eux aussi à fronder.
La Fronde durera cinq ans, cinq années de guerre civile et de misère. Les parlementaires à l’origine de l’affaire auront gain de cause pour le renouvellement de la paulette, mais ils perdront pour longtemps le droit de s’intéresser à la politique. L’affaire de la paulette aura montré les dangers d’un impôt arbitraire associé à un pouvoir trop faible.
Guirec Le Guen
Avant Colbert : une prépondérance de l’impôt indirect
A l’époque de la Fronde, la fiscalité française est le résultat d’une construction coutumière avec l’adjonction au cours des siècles d’une infinité de strates. On paie plus ou moins selon sa condition sociale (son « état ») ou son appartenance à telle ou telle province. De plus, outre le roi, l’impôt est dû à l’Église (dîme) ou au seigneur local. La fiscalité se caractérise notamment par une prépondérance de l’impôt indirect.
Tout le monde connaît la fameuse gabelle sur le sel. On se souvient beaucoup moins des « aides » qui touchaient le vin et autres boissons alcoolisées, ainsi que diverses denrées (huiles, savon, cartes à jouer…). Le seul impôt royal direct est la taille. Instaurée à titre exceptionnel au Moyen Age, elle est devenue ensuite un impôt permanent prélevé sur les revenus du patrimoine et de l’activité agricole ou industrielle. Nobles, ecclésiastiques et « officiers » en sont exemptés.
G.L.G.