Frédéric Douet est professeur de droit fiscal à l'Université Rouen-Normandie, spécialiste du droit fiscal de la famille. Il est membre du Conseil des prélèvements obligatoires et du Cercle des fiscalistes. Il est l’auteur notamment de L’Anti-manuel de psychologie fiscale (Enrick-B éditions).
Généralement, quand on pose la question aux Français, ils considèrent que le bon impôt, c’est celui qui est payé par les autres, par exemple l’impôt sur la fortune immobilière, les droits de donation ou les droits de succession. Ce qui est certain, c’est que lorsque l’on regarde l’évolution depuis quelques années, ce n’est pas facile de répondre à cette question parce que tout dépend de sur quoi on raisonne. C’est souvent, en matière fiscale, le principe des vases communicants, c’est-à-dire qu’une baisse d’un côté est compensée de l’autre par une hausse, voire par une hausse rampante. Quand on regarde les chiffres, de mémoire, il me semble qu’en 2002 les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire impôts plus cotisations sociales, devaient peser 669 milliards d’euros. Cela devait représenter à peu près 42 % du PIB. À l’arrivée de Nicolas Sarkozy en 2007, nous devions en être à environ 820 milliards d’euros. Lorsque François Hollande est arrivé en 2012, on devait atteindre 916 milliards d’euros. Et lorsque le président Macron est arrivé en 2017, on a franchi la barre symbolique des 1 000 milliards d’euros. Ce qui représente 45 % du PIB, de mémoire.
Alors oui, effectivement, c’est le gros problème mais je pense que le ras-le-bol fiscal vient en grande partie de là. Je crois que personne en France ne peut sérieusement contester la légitimité de l’impôt ou des prélèvements obligatoires, c’est une évidence. Mais on a l’impression, malgré tout, en dépit de ce qu’on nous raconte depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, comme vous le disiez fort justement, que la pression fiscale continue à augmenter et que corrélativement les services publics se dégradent. Il y a quand même un véritable problème. Mais je parle surtout de ce que je connais, c’est mieux, c’est-à-dire de la fiscalité des particuliers. Quand on reprend l’évolution depuis les années 1980, on s’aperçoit qu’au-delà des gesticulations des politiciens on n’a pas véritablement de phénomène de distribution fiscale en France. L’impôt sur les grandes fortunes en 1982, pour le coup, c’était un vrai marqueur pour François Mitterrand. Il n’y a pas eu de révolution fondamentale en matière d’impôt sur le revenu. Ensuite, on a eu la loi de 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, qui a apporté un certain nombre de modifications, notamment l’exonération du conjoint survivant ou du pacsé survivant en matière de droits de succession. Avec l’arrivée du président Macron, on a eu le recentrage de l’ISF sur l’immobilier, sur les biens et les droits immobiliers, et la flat tax. Mais ce ne sont pas des bouleversements fondamentaux. On voit finalement qu’il y a, en matière fiscale, un certain formatage de la pensée et c’est la raison pour laquelle il semble qu’il n’y ait pas de véritable disruption depuis.
Des sondages ont été réalisés en fin d’année dernière sur le ressenti des Français. Ils sont plutôt favorables au prélèvement à la source. Dès l’origine, j’étais plutôt contre parce que, en réalité, on le sait, ce n’est pas un véritable prélèvement à la source. On nous dit que l’impôt serait contemporain de la perception des revenus. Ce n’est pas vrai. On le sait, le taux d’imposition d’une année, par exemple de 2022, va être déterminé dans un premier temps par référence aux revenus de l’année 2020, puisqu’en 2022 les revenus de l’année 2021 ne sont pas connus dans un premier temps. À compter de la seconde moitié de l’année, on va ajuster un nouveau taux par rapport aux revenus de l’année précédente. Pour moi, ce n’est pas, à proprement parler, un véritable prélèvement à la source. Mais après, il faut être pragmatique et le ressenti des Français est plutôt positif.
Je crois que l’équation va être très, très compliquée pour lui et pour tous les politiques. On a une dette, vous le savez, de 2 600 milliards d’euros. Les chiffres sont tellement stratosphériques… Le premier problème, effectivement, est la dette et les intérêts de cette dette, parce que cela représente tout de même une bonne partie de l’impôt sur le revenu. Le second problème va être le pouvoir d’achat des Français. Hier, j’entendais que l’inflation devrait s’élever a priori à au moins 7% en 2022. Certains vont même jusqu’à 10 %. Cela veut donc dire pour les Français qu’il faudrait quasiment un mois de salaire en plus pour pouvoir couvrir les dépenses supplémentaires générées par l’inflation. Cela va être un vrai problème, d’autant plus qu’on sait pertinemment que pour une très grande majorité de Français, c’est déjà difficile de boucler les fins de mois. La vraie question du prochain quinquennat va donc être celle du pouvoir d’achat et comment redonner véritablement du pouvoir d’achat à tous les Français.
Ce problème, effectivement, complique davantage l’équation qui est l’efficacité de la dépense publique. S’agissant de cette question, on rencontre des problèmes d’ordre budgétaire. Il y a différents paramètres qui rendent les choses compliquées, ne serait-ce qu’au sein de l’administration. Vous le savez, on a le problème des crédits. Lorsque vous êtes à la tête d’une administration et que vous ne consommez pas tous vos crédits à la fin de l’année, vos crédits de l’année suivante sont amputés de l’économie que vous avez réalisée. Donc cette règle ne favorise pas les comptables très vertueux qui se disent : « Il faut que je dépense tout l’argent que j’ai. » Lorsqu’il y avait encore le service militaire, des camions ou des hélicoptères tournaient à vide pour consommer le reliquat de carburant. Ces exemples multipliés par des milliers, peut-être même par des dizaines de milliers, représentent finalement une charge très importante. On a aussi le problème des marchés publics. Par exemple, les billets de train qui sont achetés par les fonctionnaires coûtent plus cher lorsque l’on passe par l’administration, car les organismes qui ont décroché les marchés ne bénéficient pas des réductions dont les fonctionnaires sont susceptibles de bénéficier. Autre exemple, l’article 40 de la Constitution interdit aux parlementaires de réduire une dépense ou d’en créer une nouvelle. C’est uniquement le pouvoir exécutif qui a le pouvoir de supprimer une charge, comme supprimer purement et simplement un impôt. Mais si l’initiative vient des parlementaires, il faut que ces derniers compensent la baisse par une hausse. Généralement, le poste des tabacs sert de vase communicant.
Ce qu’on appelle les droits de mutation à titre gratuit, les droits de succession, les droits de donation, dans le budget de l’État, représentent une somme de l’ordre de 15 milliards d’euros, 12 milliards pour les droits de succession, 3 milliards pour les droits de donation. Ce sont bien évidemment des sommes qui sont importantes, mais pas par rapport à la TVA, qui représente, de mémoire, 145 milliards d’euros. Pour la CSG, cela doit être aux alentours de 120 ou 130 milliards ; on ne parle donc pas du tout de la même chose, c’est le premier point. Le second point qu’il faut souligner se situe durant l’année 2021. En 2021, on a commencé au printemps par avoir le rapport Tirole-Blanchard. Ensuite, à la rentrée, on a eu le rapport de l’OCDE. Et puis en décembre 2021, on a eu trois notes : une note du Conseil d’administration économique qui a fait couler beaucoup d’encre, une note de la Direction générale du Trésor et une note du Conseil d’orientation des retraites. Ces rapports et ces notes vont tous dans le même sens et tous préconisent une surtaxation des successions les plus élevées. J’en parle dans l'Anti-manuel de psychologie fiscale. C’est ce que l’on appelle un phénomène de simple répétition, c’est-à-dire qu’on vous martèle à longueur d’année une idée. Et même si, au départ, vous n’êtes pas convaincu par cette idée, à force de l’entendre, vous vous dites que, finalement, elle est peut-être fondée. Le problème, c’est que dans la vraie vie, en matière fiscale, un plus un ne font pas toujours deux. On peut dire qu’on va augmenter davantage le tarif sur les successions les plus élevées, mais il va y avoir des phénomènes d’évitement de l’impôt, des phénomènes d’évasion fiscale, des phénomènes d’exil fiscal. De ce fait, je ne suis pas sûr que cela soit réellement productif. Je prends l’exemple de la Suède, qui n’est pas, a priori, réputée pour être un paradis fiscal. Il y a 34 membres au sein de l’OCDE, et dix qui n’ont jamais connu les droits de succession ou les ont supprimés. La Suède, en 2004, supprime les droits de succession et entre 2004 et 2016, ses recettes fiscales ont bondi de 50 %. C’est une illustration de la courbe de Laffer (trop d’impôt tue l’impôt et moins d’impôt génère probablement plus de recettes fiscales).
Non, en matière fiscale, il n’y a pas eu de véritable débat durant la présidentielle de 2022. Malheureusement, l’essentiel du débat s’est focalisé sur les droits de donation et sur les droits de succession. Quasiment tous les candidats étaient d’accord pour augmenter l’abattement de 100 000 euros. Certains parlaient de le porter à 150 000, voire à 200 000 euros, ou plus encore. Et puis certains, plutôt à gauche, disaient qu’il faudrait surtaxer les plus grosses successions. Mais pour l’essentiel, le débat fiscal s’est résumé à ces deux questions, malheureusement.
Oui, le problème des carburants est récurrent en France, avec des différences au sein de notre territoire. Deux Parisiens sur trois n’ont pas de véhicule. En province, dans les campagnes et dans les petites villes ou dans les villages, c’est l’inverse. Finalement, il y a déjà une rupture à ce niveau-là, il y a des gens qui n’ont pas de véhicule, qui ne comprennent pas finalement que d’autres aient besoin de leur voiture au quotidien.
Ce sont des taxes effectivement. Et des taxes sur les taxes en plus. C’est le même problème en matière d’impôt sur le revenu où vos revenus préalablement sont soumis à la CGC, à la CRDS et au prélèvement de solidarité. En théorie, quand on lit le Code général des impôts, on vous dit que l’impôt sur le revenu est assis sur le revenu net. Donc, en toute logique, normalement, vous devriez pouvoir déduire de l’assiette de votre impôt sur le revenu les prélèvements sociaux que vous avez payés. Or, la CSG n’est déductible qu’à hauteur de 6,8 % et non pas en totalité ; la CRDS n’est pas déductible et le prélèvement de solidarité n’est pas déductible non plus. Donc ce sont ces mécanismes qui sont des techniques finalement, encore une fois, de manipulation des contribuables qui permettent, soit de faire payer de l’impôt sur l’impôt, puisque vous payez de l’impôt sur le revenu sur la fraction de la CSG qui n’est pas déductible, sur la CRDS ou sur le prélèvement de solidarité. Sous un autre angle, vous payez de l’impôt sur le revenu sur des revenus que vous n’avez pas effectivement. On a le même problème d’impôt sur l’impôt en ce qui concerne les carburants, en ce qui concerne l'électricité, en ce qui concerne le gaz.
On a dit aux collectivités locales que la suppression de la taxe d’habitation serait compensée par un renversement de la TVA. Mais on a ce que l’on appelle depuis 2017 une clause de gel, c’est-à-dire que le montant reversé aux collectivités a été défini et a été cristallisé au moment de cette clause de gel. Les collectivités ont augmenté petit à petit le taux et donc le montant de la taxe d’habitation. Mais bien évidemment, ce n’est plus possible. Et surtout, la taxe d’habitation disparaît. Corrélativement, c’est le principe des vases communicants. Les collectivités locales ayant moins de ressources sont obligées d’augmenter la taxe foncière et toutes les autres taxes.
L’administration fiscale comme l’administration des douanes sont des administrations qui sont efficaces, qui sont pragmatiques et tous les agents font le maximum. Le problème, depuis quelque temps, c’est la digitalisation de tout cela qui crée parmi les contribuables le sentiment qu’ils n’ont plus d’interlocuteur. Et on l’a vu, il y a quelques semaines, un certain nombre d’agents des impôts dans les services locaux se plaindre d'avoir de moins en moins de rapports avec les contribuables. Dans un autre domaine, on a vu récemment une femme qui n’a pas pu demander à bénéficier de sa retraite parce qu’elle ne maîtrisait pas l’informatique. Alors c’est probablement un cas caricatural, mais il n’en demeure pas moins que c’est un vrai problème. Je pense qu’il y a surtout un problème de proximité, un lien qui manque entre les contribuables et les agents locaux des services fiscaux.
C’est peu probable.
Je pense que pour commencer je m’interrogerais sur l’impôt sur le revenu et sur les prélèvements sociaux. Le but serait, derrière, de redonner véritablement du pouvoir d’achat à tous les Français. Soit, et je vais peut-être faire bondir certains, en supprimant purement et simplement l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux pour les remplacer par une micro-taxe sur les transactions. Cela pourrait véritablement redonner une bouffée d’air à bon nombre de Français. Soit, autre piste possible, en augmentant la TVA. Je sais qu’en disant cela, je suis un peu à contre-courant. Augmenter la TVA permettrait de taxer davantage les produits que nous importons de l’étranger et Dieu sait que nous en importons. Et puis corrélativement, cela se traduirait par une baisse des cotisations sociales ou des prélèvements sociaux de l’impôt sur le revenu. Je pense que c’est véritablement une piste à laquelle il faudrait réfléchir. Et puis, j’essaierais de faire en sorte que la France ne soit pas un repoussoir fiscal. Donc je m’interrogerais, finalement, là aussi, quitte à faire bondir certains, sur l’intérêt de maintenir l’impôt sur la fortune immobilière, et puis de maintenir les droits de donation et de succession. Et je ferais le pari que bien moins d’impôt ne tue pas l’impôt, au contraire ! On l’a vu d’ailleurs. L’exemple type, c’est lorsque la flat tax a été instituée à l’arrivée du président Macron : mécaniquement, le montant des dividendes distribués a augmenté de façon très importante entre 2017 et 2018.
Entretien du 12 mai 2022, propos recueillis par Jean-Baptiste Leon
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