Intervention d’Alain Mathieu sur les privilèges des retraites publiques
Mes chers amis,
Le sujet qu’on m’a demandé de traiter devant vous, « les privilégiés du système français de retraite », c’est-à-dire les retraités du secteur public, est à la fois important et emblématique des problèmes actuels de notre pays.
Important parce que les sommes en jeu sont énormes. Le total des pensions versées cette année aux retraités des régimes spéciaux de retraite, c’est-à-dire ceux des fonctionnaires et des entreprises publiques, comme la SNCF, EDF, et la RATP, s’élèvera à plus de 90 Mds €. Et ce montant croit très vite : de plus de 4 Mds € par an, car le nombre de retraités augmente de 3, 5 % par an et leur pension moyenne de plus de 2%. Si ces retraités avaient le même régime que les salariés du régime général, l’économie serait de plus de 45 Mds €/an, comme nous le verrons tout-à-l’heure. Quand on sait que le MEDEF demande des économies de dépenses publiques de 100 Mds € et que le président de la République dit que c’est impossible et qu’il ne pourra pas faire plus de 50 Mds en 4 ans, on voit l’importance d’un alignement des régimes publics et privés, qui permettrait à lui seul, s’il était réalisé, de faire la différence entre les demandes du MEDEF et les projets du gouvernement. Et la demande du patronat n’est pas extravagante : si l’on voulait que les impôts et cotisations sociales versés par les entreprises françaises soient au niveau de ceux des entreprises allemandes, il faudrait les diminuer de 120 Mds et non de 100.
Emblématique de nos problèmes actuels d’abord parce que les syndicats du secteur public ne veulent pas entendre parler de la moindre réforme, et ensuite parce que la classe politique et administrative nie le problème et fait même le maximum pour le cacher, comme je vais vous le montrer.
Mais d’abord quels sont ces privilèges ?Vous avez tous entendu parler du mode de calcul des pensions : pour le secteur public, 75 % du salaire des 6 derniers mois, pouvant aller jusqu’à 80 % grâce à diverses bonifications ; pour le régime des salariés du secteur privé, 50 % de la moyenne des 25 meilleures années pour le régime de base et un complément versé par les régimes complémentaires ARRCO, et AGIRC. Ce complément est calculé en fonction du nombre de points accumulés tout au long de la carrière, et donc sur tous les salaires de cette carrière.
Mais peut-être ignorez-vous qu’il y a 2 sortes de fonctionnaires : les actifs et les sédentaires. Les actifs, qui représentaient un tiers des fonctionnaires partant en retraite en 2012, sont les policiers, les douaniers, les éducateurs, les personnels soignants des hôpitaux, le personnel des travaux publics, etc. Ils peuvent partir en retraite à 50 ou 55 ans. Sans parler des autres régimes spéciaux : 40 ans pour les danseurs de l’Opéra (notre plus grand danseur, Nicolas Leriche, vient de prendre sa retraite à 42 ans, tout en déclarant qu’il n’en a pas fini avec la danse) ; 50 ans pour les conducteurs de la SNCF ou de la RATP. Si bien que l’âge moyen de départ effectif en retraite est entre 54 ans et 55 ans et demi à la RATP, SNCF, EDF. Pour les fonctionnaires civils, il est à 60 ans, soit 2 ans avant celui du privé. La durée de la retraite, du premier jour de retraite jusqu’au décès des retraités, qui est de 17 ans et demi dans le privé, est supérieure de 30 % pour les fonctionnaires civils, et de 35 à 50 % pour les cheminots ou les électriciens.
Les retraités du secteur public reçoivent des bonifications de pensions pour des motifs divers : séjours à l’étranger, services aériens ou sous-marins par exemple. Les policiers, les douaniers, les contrôleurs de la navigation aérienne en reçoivent systématiquement. Tous les militaires et la moitié des fonctionnaires de l’Etat en reçoivent.
Pour ceux qui prennent leur retraite outre-mer les bonifications peuvent être importantes : par exemple + 75 % pour la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie.
De nombreux fonctionnaires reçoivent également une rente d’invalidité, qui peut augmenter leur pension de 30 à 50 % de leur salaire antérieur.
Les fonctionnaires ont un minimum garanti pour leur pension. Il est de 1157 €/mois pour 40 ans de service, soit 47 % de plus que le minimum vieillesse du secteur privé. C’est pour cela qu’un tiers des fonctionnaires territoriaux partant à la retraite touchent ce minimum vieillesse du public.
La pension moyenne est ainsi dans le secteur public plus élevée que dans le secteur privé, où elle est de 1166 €/mois. Elle est supérieure de 51 % pour les fonctionnaires, de 75 % à la RATP et de 98 % à EDF.
Les pensions de réversion, c’est-à-dire principalement versées aux veuves, sont également très différentes, d’autant plus que dans le privé il y a un âge minimum, 55 ans, pour les percevoir, et des conditions de ressources, les ressources totales, y compris la pension, ne devant pas dépasser un plafond. Ces conditions n’existent pas dans le régime public.
Les conditions du cumul emploi-retraite sont aussi plus favorables dans le public.
Il y a 2 façons de calculer les économies qui seraient réalisées si les régimes du public étaient alignés sur le régime général des salariés du privé. La première est simplement de constater que la durée de la retraite étant d’un tiers plus longue dans le public que dans le privé et la pension moyenne étant d’au moins 50 % plus élevée, le coût des retraites publiques est supérieur d’au moins 1,33 X 1,5 = 2 fois ce qu’il serait si les règles étaient les mêmes.
Il y a une autre façon, suggérée par un rapport du COR (conseil d’orientation des retraites), qui calcule un taux de cotisation fictif de l’Etat pour ses retraités de 74 % des salaires versés, alors que le taux versé par les employeurs du privé est de 16 %. On arrive ainsi, pour les seuls fonctionnaires civils de l’Etat, à une différence de cotisation de 30 Mds € par an. Si on y ajoute les différences sur les pensions des militaires, des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers et des entreprises publiques, on arrive à au moins 45 Mds €.
L’instauration d’un régime unique pourrait donc aboutir à des économies considérables. Mais les syndicats s’opposent au moindre changement vers un alignement entre les régimes publics et privés.
En janvier 2010, au moment où le gouvernement lançait sa réforme des retraites pour passer l’âge légal à 62 ans, François Fillon avait déclaré au Figaro : « Aucune question n’est taboue. Celle du calcul de la pension sur les six derniers mois de salaire dans la fonction publique se pose évidemment ». Aussitôt les syndicats réagirent. La responsable des retraites de la CFTC, Pascale Coton, déclarait au journal Les Echos : « calculer la retraite des fonctionnaires sur les 25 meilleures années au lieu des six derniers mois ferait chuter les pensions de 40 % »! Devant les réactions des syndicats Nicolas Sarkozy affirmait « mon devoir c’est de défendre la fonction publique » et Eric Woerth ajoutait « les « six mois » c’est un sujet qui fâche, donc je ne sais pas s’il faut le mettre sur la table ». Après sa nomination comme ministre du travail, il n’en a plus été question.
En juin 2013, une nouvelle tentative de réforme, extrêmement timide, a été proposée dans le rapport Moreau, rapport qui préparait la réforme finalement votée en novembre. Ce rapport rappelait qu’« il apparait largement admis qu’une convergence (entre les régimes public et privé) serait bienvenue » et proposait de changer le calcul des pensions publiques en passant des salaires des 6 derniers mois à la moyenne des salaires des 3 à 10 dernières années, et en intégrant dans le salaire la totalité des primes, alors qu’une partie d’entre elles n’y sont pas actuellement. Le rapport précisait bien que cela ne ferait faire aucune économie à l’Etat. Pour soutenir cette proposition, la ministre en charge des Personnes âgées et de l’Autonomie, Michèle Delaunay, déclarait : “Il n’est pas exclu que la volonté d’équité et d’égalité de notre gouvernement rapproche les deux systèmes”. Mais Jean-Marc Canon, secrétaire général de la CGT, a répliqué que c’était un « casus belli irrémédiable », que “le chiffre avancé d’une perte de pension de 3,6 % si le calcul se fonde sur dix ans n’est pas crédible » et que « cela entrainerait une baisse de 20 à 25 % des pensions des fonctionnaires ». Marisol Touraine lui a emboité le pas. Elle a déclaré que “les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés” et qu’“il faut faire tomber les idées reçues” à cet égard. Et la question a été enterrée.
Alors comment font les élus et les fonctionnaires pour cacher le problème et pour dire que les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés ?
Ils ressortent une étude de novembre 2012 faite par trois fonctionnaires de la direction des études du ministère des affaires sociales intitulée « montant des pensions de retraite et taux de remplacement ». Cette étude porte sur les personnes nées en 1942 et calcule leur taux de remplacement, c’est-à-dire le rapport entre le montant initial de la pension et les derniers salaires. Elle arrive à la conclusion que le taux de remplacement médian est de 74,5 % pour le privé et de 75,2 % pour le public soit un écart très faible de 0,7 %. Comment cela est-il possible ? « Médian » veut dire qu’il y a autant de personnes qui ont un taux de remplacement supérieur que de personnes ayant un taux inférieur. L’explication est simple : il y a de très nombreuses personnes dans le privé qui ont un très fort taux de remplacement : d’abord les petits salaires, qui profitent du minimum vieillesse, ont un taux souvent supérieur à 100 ; et surtout, alors que la quasi-totalité des fonctionnaires sont en activité complète quand ils prennent leur retraite, dans le privé beaucoup de ceux qui partent en retraite ne sont plus en activité totale mais partielle, ou sans activité depuis plusieurs années, en particulier les femmes. Un quart des femmes du privé ont un taux moyen de remplacement de 114 %. En prenant les taux médians, on fausse complètement la comparaison. On lit d’ailleurs dans le même rapport que les cadres du public et du privé ont des taux de remplacement très différents. Il faut ajouter que les pensions des fonctionnaires augmentent régulièrement en fonction de l’indice des prix pendant leur retraite, alors que les pensions des retraites complémentaires du privé ne suivent pas la hausse des prix. Se limiter aux seuls montants initiaux des pensions fausse aussi la comparaison.
Et pourtant tous les rapports administratifs s’accrochent à cette faible différence des taux médians de remplacement pour justifier qu’il n’y a rien à faire. Lorsqu’en 2010, au moment de la réforme Woerth, Benoîte Taffin et moi-même sommes allés voir le ministre de la fonction publique pour lui parler de cette question, il nous a redit la thèse officielle : il y a très peu d’écart entre les deux systèmes.
Les rapports du COR le répètent et vont encore plus loin. On peut y lire –je n’invente rien- : « l’équité entre les assurés ne passe pas nécessairement par l’identité des règles, des règles identiques appliquées à des publics différents n’étant pas une garantie d’équité ». Ils sont même si fiers de cette phrase inepte qu’ils l’ont reproduite de nombreuses fois dans leurs rapports. Il faut dire que tous les rapports officiels sont rédigés par des fonctionnaires. Tous les membres de la commission Moreau relevaient des régimes spéciaux et 82 % des personnes qu’ils ont auditées. Le COR est entre les mains des fonctionnaires. Le rapport Pêcheur d’octobre 2013, relatif aux problèmes d’avenir de la fonction publique, ne dit pas un mot des retraites publiques.
L’omerta est quasi- générale. Ce ne sont pas les parlementaires, qui ont un régime spécial très favorable, qui vont la lever. Et pourtant s’il y avait un si faible écart entre les régimes publics et privés, les syndicats ne s’accrocheraient pas aussi énergiquement au régime actuel.
Cependant de temps en temps apparait une gêne sur ce sujet : « L’égalité de traitement est une attente forte de l’opinion » dit un rapport du COR. En effet 82 % des Français répondent dans les sondages qu’ils sont favorables à un régime unique. « La diversité des règles alimente un soupçon d’inégalités de traitement » dit le rapport Moreau.
Car les fonctionnaires et les politiques savent bien que les syndicalistes ont raison : l’écart est gigantesque et les gains à attendre d’un alignement considérables.
Mais la volonté de faire ces économies est inexistante. La défense des privilèges passe avant le sort de la France.
Alain Mathieu, président d'honneur de Contribuables Associés
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