Instauré au début à titre expérimental, la loi de finances pour 2024 vient de pérenniser le système dans son ensemble qui fait donc désormais partie intégrante des règles du contrôle fiscal.
A fin 2022, neuf affaires avaient donné lieu à rémunération permettant aux heureux bénéficiaires de percevoir au total 3,4 millions d'euros.
Les six premières avaient permis de recouvrer 110 millions d'euros d’impôts et amendes, le montant récupéré grâce aux trois dernières n’étant pas précisé (Rapport d’initiative citoyenne, la détection de la fraude, Cour des comptes, novembre 2023).
Les neuf redressements sont en outre le résultat de 446 signalements. Si cela dénote une certaine rigueur dans le traitement des dossiers, c’est aussi révélateur d’une montée en puissance du dispositif et des dénonciations qui l’accompagnent.
Aujourd’hui, les chiffres ne cessent d’augmenter et la nouvelle institutionnalisation du système conduit à s’interroger sur sa pertinence et les risques qu’il fait courir.
Certes, la fraude fiscale est condamnable et nuisible à la société puisque c’est toute la communauté nationale qui en paie le prix.
On peut en douter. S’il est compréhensible qu’un salarié témoin de fraudes manifestes dans son entreprise veuille avertir les autorités, cela ne légitime pas pour autant la rémunération de son geste.
Ce serait la porte ouverte à tous les excès et à tous les mauvais comportements.
Il y a celui qui dénonce dans un souci de bien public (lequel est cependant parfois relatif et changeant au gré des époques) mais il y a aussi celui qui dénonce pour se venger (d’un licenciement ou d’une absence de promotion par exemple) et enfin le chasseur de primes qui dénonce pour gagner de l’argent.
Il n’est pas vraiment certain qu’il soit du ressort du fisc de récompenser un tel individu. C’est pourtant ce qui arrive avec la nouvelle loi.
Le système est d’autant plus pervers que si une relative confiance dans celui qui dénonce sans profit est légitime, il est beaucoup plus difficile d’accorder sa confiance à celui qui dénonce dans un objectif de profit.
Surtout si le redressement qui s’en suit conduit à la faillite de l’entreprise et donc au chômage des salariés.
Il est à craindre que la rémunération du dénonciateur conduise à un climat de suspicion néfaste, voire de jalousie ou de surenchère. Si la récupération de l’impôt est à ce prix, cela risque de devenir excessif.
Les autorités ne semblent d’ailleurs pas tout à fait à l’aise. Ainsi, le vocabulaire du départ faisait référence à des indicateurs, un peu comme dans le monde de la police où la fonction existe depuis la nuit des temps accompagnée de sa mauvaise réputation. Or, on parle aujourd’hui d’« aviseurs ».
Le terme est plus élégant mais démontre avant tout une certaine gêne à appeler la réalité par son nom. Indicateur est d’autant plus conforme à la réalité objective que celui qui voudrait se montrer péjoratif ou insultant utiliserait les termes de dénonciateur ou délateur.
Toujours dans le registre du vocabulaire, le texte ne parle pas de rémunérer l’aviseur mais de l’indemniser. Indemniser de quoi ? On se le demande. Il s’agit d’une rémunération ou à la rigueur d’une récompense et non d’une indemnisation qui compenserait une perte ou réparerait un sinistre.
Faisant d’ailleurs preuve d’une pudeur de gazelle, le législateur n’a pas voulu fixer de barème et l’indemnité est donc à la main du directeur général des finances publiques.
Celui-ci doit se prononcer en fonction des informations fournies et de l’intérêt fiscal pour l’Etat. Il paraît que pour les aviseurs les plus brillants, la rémunération pourrait aller jusqu’à 15 % du gain pour l’Etat.
Comme on le voit, nous sommes plus dans la commission que dans l’indemnisation. A se demander presque à qui le crime profite lorsque l’aviseur en récupère 15 %.
Toujours aussi discret, le législateur n’a d’ailleurs pas voulu s’occuper du régime fiscal de cette indemnisation, comme s’il était indécent d’assujettir à l’impôt la récompense pour service rendu.
Pourtant, s’il s’agit bien d’une rémunération et non d’une indemnisation, il serait normal de l’imposer. Comme quoi les mots ont leur importance.
Cela dit, il reste quelque chose de réconfortant dans toute cette nouvelle législation. Elle prouve qu’à l’heure de l’intelligence artificielle et des drones survolant votre assiette de taxe foncière, il reste de bonnes vieilles techniques à l’ancienne pour faire rentrer l’impôt et montrer que nous restons des êtes humains, avec nos faiblesses et nos tentations.
Pitoyable humain
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